Depuis le début des années 70, Peter Downsbrough combine habilement la sculpture, le langage et l’architecture en nous livrant une poétique visuelle, prenant aussi bien sa place dans l’espace urbain que dans les lieux d’expositions. L’artiste intervient dans l’espace physique, souvent discrètement, avec un travail de composition de lignes d’acier et de lettres pérennes, en apportant un cadrage, un point de vue sur tout ce qui peut se trouver entre. Bien que l’on puisse définir le travail de Peter Downsbrough comme un art minimaliste, l’artiste, lui-même se décrit comme un artiste maximaliste. Peut-être pouvons-nous comprendre ici, que ses interventions, englobant aussi bien l’environnement dans lesquels elles sont installées que les différents sens que l’on peut leur trouver, apportent une approche globale de ce qu’est l’art au sein de la vie de tous les jours.
En nous apportant sa vision d’observateur, il nous aide à analyser les espaces que nous traversons et à les considérer autrement que ce qu’ils sont. À cela se greffe un enchevêtrement de mots entrecoupés et de lettres scindées, laissant toute liberté de lecture et de recherche de sens au passant/visiteur. Ainsi, le travail de Peter Downsbrough est une respiration, comme un filigrane dans l’environnement. Ce n’est pas la première fois que le travail de l’artiste s’illustre dans la ville de Liège. En effet, en 2007, l’œuvre « TOUR/ AU, DE, LA, LE, RE » a pris sa place au musée en plein air du Sart-Tilman (Université de Liège) et en 2009, il réalise l’œuvre « TEMPS / DANS, DE, ET, LA, LE, OU » pour le Musée de la Vie wallonne. Nombre de ses interventions sont fermement ancrées dans le sol et/ou sur les murs et s’élèvent de plusieurs mètres vers le ciel.
C’est le cas ici pour l’œuvre « ET AU DELA ». Trois mots disposés sur la façade de la galerie LRS52 qui résonnent comme un ensemble de sens invitant à se questionner sur l’espace physique et visible, mais aussi à le dépasser. « ET AU DELA » est comme la suite d’une phrase qui poserait une limite. Une phrase à laquelle on appliquerait une virgule qu’on ne rencontre jamais, potentiellement chargée d’espérance. La rencontre de l’œuvre se fait comme la lecture d’un livre imagé : l’œil, en déchiffrant ce qui est écrit, parcourt le lettrage mais aussi le bâtiment qui lui sert de support. Il explore la surface où les lettres apparaissent comme des événements sur le mur blanc de l’édifice. Si, par chance, les rayons du soleil viennent baigner l’œuvre, ses ombres voyagent sur la façade et la rendent mobile et unique à chaque instant. Au-delà c’est passer outre, c’est aller plus loin que se heurter à un mur. L’artiste offre une réflexion sur une vision de ce qu’il y a après, certes indéterminée mais aussi résolument optimiste. Notons également que l’inscription de la Maison signée Victor Rogister, datant de 1902 et située en face de la galerie, trouve enfin son reflet contemporain. Ars Mens est et Materia qui signifie : L’art est esprit et matière, communique discrètement avec le travail de Downsbrough. Les deux formes d’écritures dialoguent et permettent au passant d’être témoin de la rencontre de deux époques et d’une préoccupation semblable.
Ici, l’espace est blanc, vierge de tout élément. Ne restent que les murs, le sol, le plafond, les arêtes et les coins. La composition sobre et mesurée de lignes d’aluminium peintes en noir, inclut le visiteur au sein d’une architecture revue par l’artiste. L’air circule entre les structures métalliques dans l’espace clôt, alors que les deux parties du mot DANS appartenant au champ lexical de l’intérieur et sectionné par la baie vitrée, se rejoignent pour apparaître sur le jardin. Paradoxe des mots et des sens que l’artiste appose intelligemment dans la galerie LRS52. À la stabilité apparente, il ajoute un très léger déséquilibre : comme des pendules, les tiges dessinent la forme de tous petits cercles sur le sol. Les lois de l’architecture sont alors complétées par les lois du cosmos, où une petite oscillation est synonyme de révolution.
Louise Duvinage, 2021