Du 17 novembre au 15 décembre 2024
Finissage le dimanche 15 décembre de 15h à 18h
« Tout part de lieux précis qui sont tous les lieux », écrit Jean-Pierre Ransonnet lorsqu’à l’entame des années 1970, il entreprend un inventaire quasi systématique, écrit, dessiné, cartographié, photographié, annoté, de ces « lieux précis » et des liens qui les associent entre eux, comme se relie l’artiste aux humains qui l’environnent. Une pratique de l’art relationnel alors à l’avant-garde, une volonté d’échapper aux conformismes de la représentation picturale (à l’époque toujours solidement implantés), et une méthode empirique des chemins de traverse qu’il n’aura de cesse de développer et réinventer.
Chez Ransonnet, les lieux – depuis la commune ardennaise de Lierneux, où il naît dans une cave durant l’hiver 1944 – et les liens (en premier affectifs, amicaux, amoureux, ensuite en relations sociales et familiales) ont défini dès les débuts une démarche artistique que l’on pourrait apparenter à la citation d’André Breton, « chercher l’or du temps ». L’or du temps, c’est d’abord vouloir métamorphoser l’air du temps et se saisir, en artiste-alchimiste, de la temporalité et de sa capacité mémorielle. C’est partir/revenir aux origines, à l’enfance et l’adolescence, où les journées peuvent être longues dans une commune rurale peu susceptible, a priori, d’éveiller l’imaginaire. Mais c’est également se mettre inconsciemment et par pulsion de vie en quête de quelque chose d’insaisissable, d’apparemment inatteignable : ce qui fait que l’on peut transformer son existence lorsqu’on laisse émerger du monde encore en découverte des éclairs signifiants et que, imprégné de ces moments de lumière, le frottement de la pierre philosophale en fait jaillir les pépites d’un « merveilleux » couleur d’or.
La pierre philosophale de Jean-Pierre Ransonnet a pour nom « la pierre de la Falhotte ». Plantée sur les hauteurs de Lierneux, elle se donne en un bloc massif de roche sauvage, écorchée dans sa beauté naturelle d’autrefois, lorsque l’on pouvait envisager – en des temps plus soucieux du cycle des solstices et ignorants du christianisme – qu’ici peut-être s’infléchirait le cours des existences humaines. Chez Ransonnet, cette pierre est le lieu matriciel des rencontres, celui de l’émoi amoureux et sensuel, provoqué, écrit l’artiste, par « la langue, la première langue qui cherche ma langue, à la pierre. » La langue de la pierre sera aussi l’une des premières de son langage, plastique celui-là. Emerge alors tout un vocabulaire, avec ses formes, ses figures, ses détournements, ses signes intangibles – comme la lettre « l » (en écriture cursive) qui peut désigner l’autre, « elle » bien sûr, mais encore l’attente, l’absence, l’intime, quand ce n’est pas l’ailleurs, l’instant, l’oubli, l’œuvre enfin.
La pierre en est l’un des épicentres dont aujourd’hui encore Ransonnet, comme on peut le voir dans l’exposition, ne cesse d’affiner l’enchantement, mais elle n’est pas le seul. L’étang, la nature, les visages, le paysage qui défile à travers les vitres du train ou de la voiture, par le regard, le geste de la main, la couleur, forment les éléments d’une galaxie étoilée, qui ne disparaît à la lumière de l’aube naissante que pour réapparaître dans toute sa pureté brute aux heures de l’entre chien et loup. La perception poétique qu’en donne l’artiste révèle certes une identité personnelle, mais l’éloigne de tout repli mortifère : chaque projet se dévoile librement, entre rêve et réalité, et se retrouve entièrement relié à l’autre et aux lieux aimés, sources inépuisables des énergies de vies partagées. »
Alain Delaunois