Vernissage le dimanche 6 octobre 2024 de 15h à 18h
Exposition du 6 octobre au 3 novembre 2024
La démarche de Leïla Pile est résolument in situ. Elle réalise un arpentage des lieux au moyen de son outil le plus personnel : son corps. La prise de mesure est une exploration sensible qui lui permet d’appréhender les échelles et les espaces qui l’environnent. Sa pratique du textile et plus précisément du fil est conceptuelle, performative et artisanale. L’empreinte comme moyen de conserver la mémoire d’un geste et d’archiver les espaces et les corps fait partie de ses recherches actuelles.
Pour l’exposition Cordées à la Galerie LRS52, L’artiste a travaillé à l’échelle de la ville de Liège. Elle a parcouru et mesuré à pied l’itinéraire le plus court entre l’ancienne cathédrale Saint-Lambert et la galerie. Elle a ensuite traduit ses relevés dans des notes préliminaires et des dessins, retraçant l’entièreté du trajet en y faisant apparaître le rythme de ses pas. Le Pied de Liège servait autrefois de mesure aux batisseur.euses : un jalon en laiton était scellé sur un mur de l’ancienne cathédrale. Une fois le protocole de travail défini, Leïla Pile a mesuré deux fils de la longueur du chemin parcouru, soit 2017 pas. Puis elle les a teints suivant le code couleur choisi en les plongeant dans trois bains de teinture successifs. Ils ont finalement donné forme respectivement à un écheveau déployé sur un des murs de la galerie et une pièce tissée : deux façons différentes de conditionner le fil et d’entreposer le trajet.
De l’arpentage au tissage et de la coudée aux cordées : l’art du glissement chez Leïla Pile
Texte et textile ont une base sémantique commune dérivée du verbe latin texere qui signifie tisser, tramer. À l’époque romaine, textus pouvait tout aussi bien désigner un écrit qu’un tissu, liant, de fait, les productions fabriquées à partir de matériaux qui s’entrecroisent à celles de l’esprit. Quant au verbe ourdir qui fait référence à l’étape de préparation des fils destinés au tissage, il est également utilisé pour qualifier le moment où l’écrivain·e dispose des premiers éléments constitutifs de son intrigue. En outre, la qualité d’un ouvrage tissé peut être jugée sur des critères similaires à ceux attribués à l’analyse d’une œuvre littéraire ou musicale, tels que l’originalité de sa structure d’ensemble, la régularité de sa composition, ses variations rythmiques et chromatiques et ses dispositifs de présentation.
Cette parenté historique et linguistique fait sensiblement écho à la démarche artistique de Leïla Pile qui se plaît à convoquer, au sein d’une même proposition, des caractéristiques empruntées à des disciplines que l’on pourrait supposer éloignées – en apparence –, pour expérimenter un large panel de possibilités visant à révéler des réseaux de connexion insoupçonnés et, par là même, formaliser le passage progressif d’un état à un autre ; une modalité ingénieusement mise en scène dans la performance Corder, 2023, où pratiques artisanale, artistique et sportive s’entremêlent avec une grande fluidité. Tout d’abord, on observe une longue ligne mouvante et discontinue de couleur écru traverser le corps de l’artiste, vêtue de noir, en son centre et à la verticale, pour ensuite venir s’enrouler autour de plusieurs de ses membres, selon un enchaînement ponctué de gestes pouvant s’apparenter à une séance d’échauffement articulaire avant effort. Poursuivant l’objectif de produire un ensemble d’écheveaux de fils de longueurs différentes, la plasticienne réactive quelques-unes des unités de mesure qu’utilisaient, jadis, les bâtisseur·ses (la paume, la palme, l’empan, le pied et la coudée), ainsi que divers corps de métiers en lien avec le patrimoine textile que sont les drapier·ères, brodeur·ses et passementier·ères, qu’elle associe à des mouvements librement inspirés de son expérience dans le maniement des cordes d’escalade pour composer son propre répertoire.
En tant qu’outil d’appréhension d’un espace donné, la performance comme sa transposition en dessins sont, chez Leïla Pile, indissociables de sa pratique du tissage. Tandis que la première enclenche le processus de création via la détermination des unités corporelles qui y seront appliquées, la seconde dote l’ouvrage à venir de ses dimensions matérielles et symboliques au travers de ce que l’artiste nomme des « partitions ». C’est ainsi que le tissage, à proprement parler, n’intervient que dans un troisième temps, une fois les données recueillies et les décisions prises, tel un prolongement destiné à garantir la survivance des actions qui l’ont précédé. Débutée lors d’une invitation à exposer aux Anciens Abattoirs de Mons en 2021, la collection de rubans tissés et non tissés s’enrichit au fur et mesure des arpentages effectués par l’artiste. Ainsi, à chaque nouvelle occupation temporaire, Leïla Pile s’imprègne du lieu pour en proposer une topographie simplifiée et résolument poétique où l’échelle de son propre corps est invariablement appliquée à celle du bâtiment en question. Que ce soit par l’apposition d’un marquage au sol, l’interprétation en miroir d’un même déplacement, une intervention délocalisée, la transcription d’un instant partagé ou encore un renvoi au point de départ, les pérégrinations esthétiques et formelles de l’artiste mènent toutes vers un seul dessein qui est celui de parvenir à conserver la mémoire d’un geste au travers de la fixation et de l’archivage de son empreinte.
Le cœur du projet développé pour cette exposition s’ancre substantiellement dans l’histoire et la géographie de Liège dans le sens où celui-ci prend sa source dans un itinéraire reliant la Place Saint-Lambert et ses vestiges gallo-romains au numéro 52 de la rue Lairesse, située dans le quartier moderne du Longdoz, que Leïla Pile a parcouru à pied, à maintes reprises, et nourri de visites aux musées de la ville pour se documenter sur les collections patrimoniales qui y sont conservées. De cette recherche située est né un ensemble de propositions enchâssées qui, sans jamais se ressembler découlent pourtant d’un protocole identique, nous invite à considérer l’espace environnant autrement que comme une simple aire à traverser en soutenant notre progression via les informations renseignées dans les titres mêmes des œuvres.
Clémentine Davin